Par Jean-Marie Portal - Publié le 11 novembre 2025

À Paris, lors du Congrès Mission 2025 organisé à l’Accor Arena, du 7 au 9 novembre, le cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui et Spiritain, a livré un témoignage sobre et marquant. Il a appelé les chrétiens à demeurer “au milieu du peuple”, rappelant qu’évangéliser, c’est d’abord rester présent quand tout vacille. En effet, cette invitation à la présence résume toute sa vision de la mission. De fait, son propos résonne comme un appel à la fidélité dans l’épreuve.
Invité à témoigner lors d’une table ronde, l’archevêque de Bangui a choisi de parler de ce qu’il connaît le mieux, la foi mise à l’épreuve de la guerre. Sa voix est calme et son propos mesuré. Ainsi, il revient sur les années de guerre qui ont suivi 2013, quand la coalition rebelle Séléka a renversé le président François Bozizé. Peu à peu, le pays s’enfonce dans la peur. Très vite, des groupes d’autodéfense, les anti-Balaka, se forment ; dès lors le pays bascule dans un cycle de représailles entre communautés chrétiennes et musulmanes. Des milliers de civils fuient la capitale. D’autres trouvent refuge dans les églises, parfois pendant des semaines.
C’est dans ce contexte que le cardinal Nzapalainga choisit de rester auprès de son peuple, coûte que coûte. « Rester, c’est déjà évangéliser », dit-il simplement. Une phrase brève, posée, qui résume tout son message. La mission ne commence pas par le départ, mais par la présence.
Rester quand tout pousse à fuir
Nommé archevêque de Bangui en 2012, à 45 ans, il se retrouve quelques mois plus tard au cœur d’un pays déchiré. Dans ce climat d’insécurité extrême, les ambassades ferment, les étrangers quittent la capitale, le gouvernement se disloque. Pour autant, lui refuse de partir. « Jésus a donné sa vie. Je suis prêt à donner la mienne ici », confie-t-il aujourd’hui. Dans ce contexte, les églises deviennent des refuges, les cours paroissiales accueillent des familles déplacées pendant des mois. C’est pourquoi, souligne-t-il, « un pasteur ne quitte pas ses brebis quand elles sont blessées ». Pas de geste héroïque, simplement la fidélité à sa mission.
Faire de la foi un pont, pas une frontière
Face à cette escalade, lorsque les affrontements menacent de devenir une guerre entre communautés, il prend une initiative décisive. En 2013, avec l’imam Oumar Kobine Layama et le pasteur Nicolas Guerekoyame-Gbangou, il fonde la Plateforme des confessions religieuses de Centrafrique. Cette alliance inédite réunit responsables catholiques, protestants et musulmans pour dénoncer les violences et défendre la paix. Les trois hommes se déplacent ensemble dans tout le pays, et surtout, rencontrent des chefs de milices, dialoguent avec les autorités locales, prient avec les habitants.
« Ce n’était pas une guerre religieuse, mais une guerre politique, rappelle le Spiritain. La paix ne se décrète pas, elle se construit dans la rencontre. » Ainsi, leur action contribue à apaiser les tensions dans plusieurs régions et à restaurer un dialogue entre communautés. Finalement, en 2016, le pape François reconnaît cet engagement et le crée cardinal lors du consistoire du 19 novembre. À 49 ans, il devient le plus jeune membre du Collège des cardinaux et le premier issu de la République centrafricaine. « Ce n’est pas une récompense, c’est une responsabilité », résume-t-il.
Une Église de la proximité
Membre de la Congrégation du Saint-Esprit, Dieudonné Nzapalainga rattache son engagement à la spiritualité spiritaine. « Être Spiritain, c’est aller là où la vie est dure, là où l’espérance semble s’éteindre. » Formé au Gabon puis en France, il a gardé le goût du terrain : marcher, écouter, bénir, consoler. À Bangui, il rend visite aux familles déplacées, célèbre dans les quartiers détruits, encourage les catéchistes. « Nous n’avions plus d’électricité, plus de routes, plus rien… mais nous avions la foi », se souvient-il. Pour lui, la mission n’est pas d’abord une question de distance ou de moyens. C’est une manière d’être au monde, de rester présent quand tout chancelle. Une Église proche du peuple, non par stratégie, mais par fidélité.
Des échos venus d’ailleurs
Par ailleurs, à Paris, d’autres voix ont prolongé cette même conviction : la mission naît toujours de la proximité. Le père Patrice Gaudin, prêtre de la communauté de l’Emmanuel, a raconté son ministère en Seine-Saint-Denis, à Bondy puis à Saint-Denis. « Dans la cité, il faut marcher. Le trottoir, c’est ton bureau », dit-il. Chaque jour, il part à la rencontre des jeunes, souvent loin de l’Église mais proches de la vie réelle. « On croit que la cité, c’est la marge. Moi, j’y vois un laboratoire d’Évangile. »
Isabelle Burguière, aumônière de prison à Calais, dit la même chose à sa manière. Chaque semaine, elle franchit les grilles du quartier femmes. « Merci d’être venue jusqu’à nous », lui a dit un jour une détenue. Cette phrase, elle ne l’oublie pas. « Ce que je veux, confie une autre, c’est me réconcilier avec Dieu. Tu crois qu’il voudra bien ? » Dans ce huis clos, la mission se joue à voix basse, et là encore, dans l’écoute et la patience. De Bangui à Bondy, de Calais à Saint-Denis, ces témoins parlent d’une même Église : une Église qui s’approche, qui écoute et qui demeure.
Un message universel
Au terme de son intervention, le cardinal Nzapalainga élargit son propos. Il s’adresse autant aux chrétiens de France qu’à ceux de son pays. Le monde, explique-t-il, n’a pas besoin de spectateurs inquiets mais de croyants capables de devenir artisans de paix là où ils vivent. « Ce monde a besoin de bâtisseurs de paix, pas de spectateurs », affirme-t-il.
Pas de grand effet, pas de formule creuse, mais une parole claire, à hauteur d’homme.
En définitive, pour beaucoup de participants, ce témoignage résume l’esprit du Congrès Mission : une Église qui ne se replie pas sur elle-même, mais choisit de rester proche du peuple, dans les crises comme dans le quotidien.

