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Imaginez que tous les chrétiens à  travers le monde arrêtent de manger et de boire du lever au coucher du soleil, qu’ils prient en même temps et se mettent à table au même appel . Quel sentiment de solidarité, d’unité , de fraternité et de force ! Nous, spiritains en Algérie, sommes moins invités qu’autrefois , à partager le ftour, le repas de rupture de jeûne. Des prédicateurs interdisent d’inviter des non musulmans à ce repas qui revêt de plus en plus un caractère religieux. Raymond Gonnet, spiritain en Algérie

Le Ramadan est l’un de 5 piliers de l’Islam, donc une obligation pout tout musulman adulte et en bonne santé

Dans les pays musulmans , c’est toute la communauté nationale qui fait Ramadan. Les horaires de travail et des écoles sont modifiés : retardés le matin et journée continue. Le Ramadan est attendu avec joie par les croyants. Il n’est pas d’abord un mois de pénitence. Certes le musulman ne mange pas, ne boit pas, ne fume pas, n’a pas de relations sexuelles du lever au coucher du soleil. Mais cela est vécu comme une prière à Dieu et pour sentir dans son corps la soif et la faim du pauvre. En conséquence , chaque croyant adulte devra verser une somme codifiée chaque année par le Ministère des cultes à un fond de solidarité. Et après le Ftour, repas de rupture du jeûne, les croyants sont invités à la Mosquée pour Taraoué , prière surérogatoire , durant laquelle on chante un Hisb, partie du Coran. Ainsi, le Coran tout entier sera chanté pendant ce mois .

Beaucoup de personnes pieuses jeûnent 6 jours avant le Ramadan et 6 jours après la fête de rupture Aïd el Fitr , fête de rupture du jeûne ou Aîd essgheir, la petite fête au regard de l’ Aîd el Kebir , la grande fête , fête du mouton en souvenir du sacrifice d’Abraham et qui a lieu 70 jours après le Ramadan. Pour beaucoup , c’est un temps de conversion, d’approfondissement spirituel. Pour d’autres, il est une obligation à laquelle il faut se plier, bon gré mal gré.

Le mois de Ramadan est attendu :

– Avec joie à cause de son aspect familial festif

Toute la famille se retrouve autour d’une table bien garnie …chaque soir est un soir de fête. On attend avec impatience l’appel à la prière du Maghreb , coucher du soleil qui correspond à nos vêpres. Les plus pieux vont prier avant de manger … on rompt le jeûne en prenant d’abord 2 dattes et un peu de lait. Le soir, les femmes peuvent sortir vous visiter des proches ou pour faire les achats des habits pour la fête . La dernière semaine est généralement consacrée à la fabrication des gâteaux que l’on s’échangera le jour de la fête , en signe d’amitié ou de réconciliation.

– Avec appréhension

Car pendant ce mois le budget alimentaire crève le plafond , car après un jeûne complet de plus de 24 h , il faut un repas consistant avec de la viande , si possible …et étant donné que c’est un repas familial festif, les mets sont recherchés et copieux.  Aussi, vu l’augmentation de la demande sur le marché, le prix des produits grimpent.

Nous, spiritains, sommes moins invités qu’autrefois, à partager le ftour. Des prédicateurs interdisent d’inviter des non musulmans à ce repas qui revêt de plus en plus un caractère religieux. Dans certains lieux plus ouverts , les communautés chrétiennes organisent un ftour partagé avec des amis Musulmans. Les enfants, normalement, commencent à jeuner vers 12 ans. Dans certaines familles, ils peuvent commencer par un jour, à 6 ou 7 ans, puis un jour sur deux. Quand un enfant a jeûné tout le Ramadan , on le fête car il est rentré dans le monde des adultes. Il faut voir la fierté de l’enfant !
Les personnes âgées, les malades et les voyageurs ne sont pas obligés de jeûner. Cependant la plupart jeûnent quand même parfois au péril de leur vie quand ils devraient prendre un médicament indispensable. Cela à cause de l‘habitude, par crainte de Dieu, et pour ne pas avoir à compenser par des aumônes .

 

Questions à Bertrand Mbella, spiritain centrafricain diplômé d’islamologie, de dialogue interreligieux et d’arabe classique

Quelles sont les racines communes du Ramadan et du Carême?

Le temps de carême et du Ramadan sont deux moments très importants dans le cheminement spirituel des chrétiens et des musulmans. Car ils sont pour ces croyants non seulement un temps d’introspection, d’élévation spirituelle mais avant tout un temps d’évaluation de leur relation avec Dieu et avec leurs prochains. 

Le Carême et le jeune du mois ramadan n’ont pas une origine historique commune proprement dite mais, les deux s’inspirent des pratiques religieuses observées dans certaines traditions de spiritualité qui ont précédé le Christianisme et l’Islam. Par exemple le Yom kippour c’est-à-dire jour de la grande expiation prescrit aux juifs avant la naissance du Christianisme et de l’islam (Lv 16,20-31), le jeûne de Moise au désert avant la réception des tablettes de la loi (Dt 9,9-18), le jeûne des ninivites en vue de leur conversion (Jonas 3, 5-10) et le jeûne de Jésus au désert qui est la principale source d’inspiration du Carême. Le Coran atteste cette affirmation en ces termes : « O vous qui croyez ! On vous a prescrit le jeûne comme on l’a prescrit à ceux avant vous, peut être deviendrez-vous pieux » (Coran 2, 183). 

Les vertus défendues sont-elles les mêmes entre les deux religions?

Le Carême est un temps de privation, de purification, de prière, de pénitence et de partage où le chrétien, à travers la lecture et la méditation de la parole de Dieu mais aussi à travers les œuvres de miséricorde se prépare à célébrer la résurrection qui est l’expression de la victoire du Christ sur la mort et les forces du mal.

Pour les musulmans, le Ramadan est un mois sacré car c’est le temps pendant lequel tous les textes sacrés des religions dites abrahamiques ont été révélés. L’imam Ja’far al-Sadiq un des grands savants musulmans (shi’it) affirmait ceci : “ le livre d’Abraham a été révélé la première nuit du mois de Ramadan ; la Torah a été révélé le six du mois de Ramadan, l’évangile a été révélé le treize du mois de Ramadan et le Saint Coran le vingt-trois du mois de Ramadan’’.  Le jeûne a donc été fixé pendant ce mois afin de permettre aux musulmans de se consacrer à la lecture et à la méditation de la parole de Dieu dans l’objectif de rapprocher le croyant de son créateur. Le jeûne du Ramadan est l’un des piliers de l’Islam. Le mois de ramadan est une période pendant lequel toutes les trois dimensions de l’Islam à savoir  imān (أمان), Islam ( إسلام)et ihsān. (Imān : la foi, Islām : la soumission ; ihsān : la perfection) coïncident. C’est pourquoi le jeûne et l’attention à l’autre sont les conditions sine qua non pour atteindre cette perfection et cette proximité de Dieu. 

Sont-ils des temps tournés vers la prière pour la paix?

Le temps de Carême et le Ramadan sont des temps de réconciliation avec Dieu, avec son prochain et avec soi-même. Vécus comme des moments sacrés, chrétiens chrétiens et musulmans y redoublent d’ardeur dans leur recherche de Dieu. Chercher Dieu c’est chercher la paix car la paix fait partie des 99 beaux noms de Dieu en Islam. C’est donc un temps où tous les fils d’Abraham doivent se mettre ensemble non seulement pour prier mais aussi pour œuvrer ensemble afin de bâtir une société où tous les humains, crées à l’image et à la ressemblance de Dieu puissent vivre ensemble en paix, dans l’amour, dans la joie et dans le respect de la liberté de l’autre dans sa différence. Le carême et le ramadan sont aussi des temps de promotion du dialogue. Chrétiens et musulmans doivent travailler ensemble à mettre un terme à tout ce qui peut être source de division et de conflit dans la société : « l’extrémisme, le radicalisme, les polémiques, les disputes et la violence à motivation religieuse…la culture de la haine » à travers un dialogue pacifique et sincère qui est le vrai antidote contre la peur de la différence. En d’autres termes, ces deux temps sacrés ne doivent pas seulement renforcer les liens de fraternité dans nos communauté respectives (l’Eglise et la ‘Umma) mais ils doivent contribuer à ouvrir la voie à une fraternité humaine universelle. Le carême et le ramadan sont un temps de témoignage de la foi en un Dieu Aimant, clément, miséricordieux.