Ce matin, nos cœurs sont en fête. Le 4 août 1974, je fus ordonné prêtre, il y a 50 ans ce 4 août. La vie n’est jamais un long fleuve tranquille, et ma vie de prêtre, religieux missionnaire spiritain ne fait pas exception. Tout au long de ces cinquante années, les tentations et les épreuves en tous genres n’ont pas manqué ; et de nombreuses fois, je me suis laissé prendre dans les filets de l’égoïsme, des plaisirs faciles, des joies factices, du succès de la mondanité, de la superficialité, de l’activisme, et tant d’autres péchés pour lesquels, je vous demande de faire appel à la miséricorde du Seigneur.
Dès mon enfance, mon désir, c’était d’annoncer l’Evangile et de le faire connaitre à ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de l’entendre. Et ce désir n’a fait que grandir en entrant chez les spiritains, La parole de Paul « malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile » est une parole forte gravée à tout jamais dans mon cœur.
En 1969, mon stage missionnaire au milieu de ma formation me permit de vérifier que ce désir d’annoncer l’Evangile n’était pas une illusion d’enfant, mais venait bien de Dieu. Cette première expérience missionnaire a lieu à Kaga Bandoro. C’est donc mon premier contact avec de jeunes communautés chrétiennes qui pour la plupart ne connaissaient le Christ qu’à travers le catéchisme question réponse de l’époque préconciliaire encore en vigueur. Mais déjà un père Spiritain de Kaga Bandoro, soucieux de mettre les chrétiens en contact direct avec la parole de Dieu, multiplie des feuillets mensuels, contenant chacun un passage d’Evangile à étudier en petits groupe.
Annoncer la bonne nouvelle, par les chemins en Centrafrique, en Inde
Séduit par cette manière de faire, quelques années plus tard, je reprendrai à Kaga Bandoro d’abord puis à Ndele, l’initiative à mon compte dans les secteurs qui me sont confiés. Je vais même plus loin faisant apprendre par cœur aux catéchumènes de nombreux passages de l’Evangile, afin qu’ils puissent lentement les laisser pénétrer en eux et les amener à une relation vraie avec Jésus Christ.
Annoncer l’Evangile, une nécessité qui m’incombe : c’est en allant de village en village, à la manière du Christ parcourant la Galilée, annonçant la bonne Nouvelle du Royaume, mais aussi guérissant les malades, que j’ai moi-même, sans être infirmier, soulager beaucoup de malades, qui une fois les affaires de l’Eglise réglées, venaient solliciter leur guérison. Les handicapés ne furent pas oubliés, surtout à Ndele. Poser un bon geste au bon moment me permit de sauver beaucoup de vies humaines auprès de populations isolées, loin de tout poste de soins médicaux.
L’annonce de l’Evangile inclut le développement de tout l’homme. La vie professionnelle en fait partie: c’était l’époque de l’animation rurale et de ses campagnes d’année. Ainsi des jeunes agriculteurs ont accepté de revoir leur mode de culture, d’essayer entre autres la culture attelée, ce qui leur a permis de doubler les rendements et d’offrir un bien être qu’ils n’avaient peut-être jamais connu.
J’ai semé… A d’autres maintenant le soin de la moisson.
Mais cette période des semailles en Centrafrique, dans une magnifique savane boisée, est loin de couvrir les cinquante années de mon ministère. J’ai relu les trente autres années à la lumière du mystère de l’annonciation. Pour la Vierge Marie, l’annonciation dut être un choc auquel elle ne s’attendait pas, une nouvelle qui allait changer le cours de sa vie ; elle qui aspirait à une vie tranquille avec Joseph, accepte l’inconnu. Elle l’accepte, dans la confiance. En acceptant de devenir la Mère du Verbe, elle fut conduite par la Providence sur un chemin non balisé, où d’elle-même elle ne se serait jamais aventurée. Il va en être de même pour moi à plusieurs reprises. Et chaque fois, comme Marie, je me suis demandé : « mais comment cela va-t-il se faire ? » :
1 – Il faut renforcer une équipe spiritaine qui sera envoyée dans les camps de réfugiés rwandais au nord ouest de la Tanzanie. « On a pensé à toi », me dit le Provincial de France, qui vient de me rappeler en France pour être à Marseille. – Comment cela va-t-il se faire ? … puisqu’il faut parler anglais avec les Tanzaniens, et kyniarwanda avec les réfugiés ? J’accepte le défi et les épreuves auxquelles j’ai du faire face furent importantes… J’ai failli jeter l’éponge à plusieurs reprises. Mais aussi au fil du temps, les nombreuses joies du ministère, le soutien des confrères et la sympathie reconnaissante des réfugiés m’ont permis de mener jusqu’au bout cette mission.
Au défi des responsabilités
2 – Puis, ce fut la France, une terre qui m’était devenue étrangère, où je connaissais si peu de monde. Nouvelle annonciation, nouvelle surprise, tel un tremblement de terre commis par la Providence. C’est ainsi que je relis mon élection comme provincial de France à la suite de Christian Berton qui en 2003, terminait son second mandat. Là encore, je devais marcher sur un chemin non balisé d’avance, assumer de lourdes responsabilités qui engageaient la vie de toute une Province, et aussi parfois celle d’autres provinces spiritaines, celles également d’organisations dont la Province de France assure la tutelle comme l’Œuvre d’Auteuil dont le Père Brottier assuma la responsabilité de 1923 à 1936. Dans les années 2000, elle accueillait environ 16.000 jeunes en difficultés familiales et sociales. Une décision mal murie, ou prise trop hâtivement pouvait mettre en danger des dizaines voir des centaines de personnes. Tâche rude, mais qui a aussi ses joies et permet de nombreux contacts. Pour garder le cap, et tenir la barque dans la tempête, je devais me rappeler que le Christ n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie, que c’est Lui que je servais dans mes frères et sœurs ; qu’il était le Maitre et que je n’étais qu’un serviteur quelconque.
3 – Au terme de cette responsabilité, un nouvel appel m’est lancé, pour une mission particulière : aller en Inde, en pionnier ! et seul pour un début ! « Va et vois ! » me dit le supérieur général, Jean Paul Hoch, sans me donner d’autres précisions. Mais où aller dans ce pays-continent ? Là encore, la Providence veillait, une fois de plus ! Grâce à une relation nouée à Paris avec un prêtre indien étudiant l’Œcuménisme, j’entre en contact avec son Evêque qui accepte de me recevoir dans son diocèse sans contrepartie. Une fois sur place, tous les prêtres rencontrés, les religieux et religieuses m’encouragent à accueillir d’éventuelles vocations. Les premiers candidats se présentent. Les Provinces Spiritaines d’Afrique de l’Est acceptent d’intégrer les candidats indiens dans leur cycle de formation. Aujourd’hui, les premiers que j’ai accueillis, assument la responsabilité du groupe spiritain de l’Inde et d’autres sont en mission en Ethiopie, en Zambie et en Europe.
4 – Quelques années plus tard, le Provincial de France me demande de mener la barque de la grande communauté des anciens de Chevilly Larue en région parisienne. Un autre défi, d’autres épreuves spécialement en 2021 où notre communauté a subi de plein fouet les méfaits du Covid 19. Après avoir accompagné des communautés chrétiennes naissantes, des réfugiés, de jeunes adultes en formation, mes supérieurs me confient l’accompagnement des missionnaires spiritains à la retraite jusqu’au seuil de la maison du Père : beau mais éprouvant ministère qui fut pour moi source d’édification et de sanctification je l’espère !.
Et depuis 2021, je suis de nouveau en Centrafrique, économe du Postulat, en communauté avec Barthélémy et Jean depuis l’année passée…
Autant de situations, d’envois, de missions humainement imprévisibles, mais voulues par Dieu, me semble-t-il, Dieu qui comme pour Marie, n’a pas manqué de m’envoyer le Saint Esprit. Celui-ci nous devance toujours là où Jésus par la voix de nos supérieurs nous envoie, quand il s’agit de faire connaitre le Sauveur aux hommes. Qu’à l’exemple de Marie et de l’apôtre Paul, je répète sans cesse : « Voici le Serviteur du Seigneur ; que ta volonté soit faite; car malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! »
Amen ! Gabriel Myotte Duquet, spiritain en Centrafrique