Originaire de Suisse, de Madagascar ou d’un pays d’Afrique, chacun a sa manière de vivre la mission au bord du lac Léman : animation de paroisse, randonnées, visite et écoute des aînés dans des maisons de retraite, pèlerinages, guide de libération intérieure, échanges sur l’Esprit Saint avec des non croyants en jouant au « jass » (jeu populaire suisse, proche de la belote), organisation des archives…
Fin février 2025, je suis partie à la découverte de la mission spiritaine atypique en Suisse. Par-delà les images d’Épinal du chalet suisse, des fermes d’alpages et leurs légendaires fromages, des entreprises de fabrication des montres, couteaux suisses et autres chocolats, Innocent, originaire du Ghana, supérieur provincial, depuis octobre 2023, avait préparé un tour de visites des communautés et des individualités de la province spiritaine de Suisse. Les lieux de résidence sont pluriels : en communauté, en monastère avec des religieuses et des diocésains, dans des cures paroissiales, en solitaire ou en famille dans des maisons personnelles.
Vie simple et vivre ensemble : facile à dire, mais pas si facile à vivre en Suisse
Matin et soir, à l’École des missions de Saint-Gingolph, devant un défilé constant de frontaliers de France partant vers la Suisse où les salaires sont plus élevés, le décalage, avec l’appel à la vie simple de la règle de vie spiritaine, interpelle. Comment vivre à contre-courant d’une société individualiste en partie guidée par l’appât du gain? Quels choix audacieux prendre pour défendre le sens de la vie religieuse? Alors que l’Esprit Saint nous pousse à sortir de nous-mêmes pour aller vers Dieu et vers nos frères et sœurs, comment résister à la tentation du chacun chez soi? Quels défis relever pour vivre ensemble ?
« Vous, vous n’êtes pas comme les autres, nous dit-on parfois ; ce qui veut dire qu’on est proche des gens, on crée des relations d’amitié sans distance. C’est l’Afrique qui nous a formés à la relation, à la fraternité ; en mission dans les villages, on allait à la rencontre des gens et on a gardé ça. Je ne me suis jamais senti déraciné là où je vivais. » Francis Zufferey, spiritain originaire de Suisse en mission à Fribourg
Chaque rencontre a soulevé ses questions et apporté un éclairage pour y répondre. Au fil du reportage, j’ai été attentive à écouter la parole des confrères spiritains et des équipes avec qui ils partagent la mission pour mieux voir les germes d’espérance.
« La province s’est métissée pour continuer à vivre », nous explique Roland, spiritain suisse de 83 ans. Alors que nous venons de célébrer Pâques avec nos frères chrétiens, qu’est-ce que la Suisse peut nous dire de son chemin d’unité dans la diversité ? Dans le contexte mondial fragilisant la paix, quel crédit donner à la neutralité, la recherche de consensus? Qui sont les marginalisés et quelles pauvretés rejoindre dans ce pays riche? Dans le cadre d’une nature sauvage saisissante de beauté, quelle place est faite à la défense du vivant, à la contemplation de la Création pour encourager la vie simple, le respect de la maison commune? La présence dans la Genève internationale permet-elle de porter un plaidoyer collaboratif d’alerte des situations d’atteinte à la dignité humaine, des menaces de conflits dont sont témoins bien des spiritains et des spiritaines dans leurs lieux de mission ? Estelle Grenon
« On vient avec nos bagages de foi et d’espérance, et on découvre en pratique comment répondre aux besoins d’ici. Il m’a fallu m’adapter à des habitudes différentes. Il fait si froid dans les églises suisses presque vides. J’y vois un appel à trouver des manières de raviver la flamme, de réchauffer les cœurs de l’amour de Dieu. Et de comprendre que l’Église ne se limite pas à ses murs. En Suisse, l’Église se vit beaucoup en extérieur par le comportement des fidèles dans le service aux autres. » Joseph Akuamoah Boateng, spiritain de 45 ans, originaire du Ghana.