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Message de Pentecôte du P. John Fogarty, Supérieur Général de la Congrégation du Saint-Esprit.

«L’Esprit donne la vie. »

Jean, 6,63

Dans une interview accordée lors du vol retour à Rome à la suite de sa récente visite historique en Irak, le Pape François a parlé de son expérience comme d’un “retour à la vie” après de nombreux mois “de captivité” à cause de la pandémie. Ses commentaires ont trouvé un écho particulier ici, au Conseil général. Nous-mêmes avons également été privés de ces moments les plus marquants depuis environ douze mois, à savoir la rencontre directe avec nos nombreux confrères et laïcs associés qui, dans le monde entier, servent avec calme et amour ceux qui sont en marge de la société contemporaine, ainsi que les personnes parmi lesquelles ils vivent et travaillent. Certains de ces moments, que j’ai eu le privilège de partager au cours de mon mandat, resteront vivants en moi pour de nombreuses années. Je revois encore la joie spontanée et rayonnante sur les visages des habitants, jeunes et vieux, d’un village Marwari oublié du Pakistan à l’arrivée d’un confrère très aimé et estimé: lui-même et l’ancien du village rivalisaient avec humour pour être le premier à toucher la sandale de l’autre, une marque traditionnelle de respect. Je me souviens très bien d’une matinée profondément empreinte de spiritualité passée avec un petit groupe de personnes marginalisées souffrant de divers handicaps dans un village de Papouasie-Nouvelle-Guinée, et de la supplique d’une jeune aveugle assise à côté de moi pour que le confrère qui avait tant fait pour restaurer leur dignité et leur donner de l’espoir pour leur avenir ne leur soit jamais enlevé.

L’union contemplative avec Dieu et le service aimant des pauvres, des oubliés et des marginalisés.

Nous avons beaucoup parlé de notre spiritualité et de notre héritage spiritains au cours des huit dernières années, tandis que nous répondions ensemble à l’appel du Chapitre de Bagamoyo à construire et à renforcer notre identité spiritaine (2.10). La pierre de touche de toute spiritualité authentique est qu’elle est vivifiante, à la fois pour nous-mêmes et pour les autres; selon les mots de Timothy Radcliffe O.P., “Il s’agit d’être vivant en Dieu et pour les autres”. L’histoire du fils aîné dans Luc 15, 11-32 nous rappelle constamment qu’une vie d’apparente fidélité quotidienne et de proximité avec le Père peut dégénérer imperceptiblement en une forme de servitude, une spiritualité sans amour qui nous éloigne progressivement de nos frères et soeurs dans le besoin. Notre héritage spirituel spiritain est enraciné dans la “vie apostolique” (Bagamoyo 2.5) qui, à l’exemple du Christ lui-même, intègre de manière dynamique l’union contemplative avec Dieu et le service aimant des pauvres, des oubliés et des marginalisés. Ce n’est que dans la mesure où nous sommes vraiment fidèles à ces deux dimensions essentielles de la vie spiritaine que nos vies seront vivifiantes, tant pour nous-mêmes que pour les autres.

Un esprit de liberté et de paix

La vie augmente quand elle est donnée et elle s’affaiblit dans l’isolement et l’aisance. De fait, ceux qui tirent le plus de profit de la vie sont ceux qui mettent la sécurité de côté et se passionnent pour la mission de communiquer la vie aux autres” (Evangelii Gaudium, 10). Libermann n’avait guère de goût pour les mortifications que l’on s’impose ; il soulignait que la vie apostolique elle-même, une vie donnée avec générosité et amour pour les autres, et l’acceptation de ce que la vie nous apporte, nous oblige parfois à faire les sacrifices personnels les plus exigeants. “L’œuvre en elle-même a de continuelles mortifications à offrir aux missionnaires ” [N.D. III, 223]. Il s’opposait à toute forme d’égocentrisme ou d’introspection négative qui, en fin de compte, ont un impact négatif sur notre propre qualité de vie et nuisent à notre capacité de communiquer la vie aux autres. “Evitez de vous occuper de vous-même… ne vous attendrissez jamais sur vous-même “écrivait-il [ND VII, 220] . “Il faut… ne pas se laisser prendre par les angoisses nerveuses du cœur “IND VII, 238]. Toute forme de rigidité et de dureté, que ce soit avec soi-même ou avec les autres, doit être exclue. Nos vies et nos communautés doivent être marquées par un esprit de liberté et de paix : “Ayez le coeur et l’esprit libres avec calme“… [ND X, 235] . “Laissez une grande liberté d’esprit dans votre maison “IND VI, 128-129].

Prendre soin de sa santé : condition de la mission d’amour et d’espoir pour les autres

Tout en insistant sur le fait que notre nourriture doit être celle des pauvres, il souligne qu’elle doit être ” solide et substantielle ” et donne des instructions claires à ses missionnaires sur le terrain en ce qui concerne le maintien d’une alimentation saine dans un climat difficile. Nous avons la responsabilité de prendre soin de notre santé afin de pouvoir continuer à être une source de vie, d’amour et d’espoir pour les autres: “Je vous recommande de ne pas ruiner votre santé “IND III, 234). “Il ne s’agit pas de faire et de mourir après, mais de faire et de vivre toujours, pour faire encore et toujours. “¹

Acceptation de sa propre fragilité et compassion pour celle des autres

La pandémie actuelle a considérablement limité notre ministère habituel et notre rayonnement auprès de ceux que nous avons le privilège de servir. Elle a eu un impact significatif sur notre propre sentiment d’accomplissement personnel dans la communication de la vie et de l’amour de Dieu à ceux qui sont en marge de la société. Nous avons été mis au défi de trouver des moyens originaux et novateurs de vivre notre charisme spiritain au service des autres. Et, dans la mesure où nos vies personnelles sont au contact de l’amour de Dieu dans la prière, Libermann nous assure que la détresse des autres sera dans nos esprits “et le jour et la nuit” et que nous trouverons “mille moyens” de leur venir en aide pour répondre à leurs besoins. ²

De nombreux confrères et laïcs associés spiritains ont donné une impulsion remarquable à cet égard, en particulier en rejoignant avec compassion ceux qui sont devenus invisibles et se trouvent laissés pour compte dans le contexte contemporain. Cependant, l’expérience de nos limites nous ouvre une nouvelle et importante dimension de spiritualité vivifiante qui est déjà familière à ceux dont les activités sont fortement limitées par la maladie, l’infirmité ou la vieillesse. C’est une réalité à laquelle nous serons tous normalement confrontés un jour, lorsque nous ne serons plus en mesure d’accomplir ce qui nous apparaît si facile aujourd’hui.

Itinéraire spirituel face aux trois grands combats de notre vie

Ronald Rolheiser ³ soutient que notre itinéraire spirituel individuel peut être divisé en trois phases distinctes, correspondant aux trois grands combats de notre vie : l’apprentissage fondamental (la lutte pour mettre notre vie en bon ordre) ; l’apprentissage de la maturité (la lutte pour donner notre vie pour les autres) ; l’apprentissage radical (la lutte pour donner notre propre mort). Se référant à la dernière phase, il dit : “En termes simples, parfois, dans notre impuissance et notre passivité, nous pouvons donner quelque chose de plus profond que ce que nous pouvons donner par notre force et notre activité” (p. 291).” Jésus a donné sa mort par sa passivité, en absorbant dans l’amour l’impuissance, les amoindrissements, les humiliations et l’ultime solitude de la mort” (p. 19). En suivant les traces de Jésus, nous pouvons vivre notre expérience de la fragilisation et de la faiblesse d’une manière qui soit véritablement source de vie pour les autres, par la sérénité, la joie et l’acceptation pleine de foi avec lesquelles nous embrassons la réalité de notre fragilité. Libermann connaissait bien cette voie, car il a dû faire face à des difficultés personnelles tout au long de sa vie ; sa mauvaise santé l’a empêché de poser le pied sur le continent de ses rêves et même ses lettres d’encouragement et de soutien à ses missionnaires et à d’autres personnes restaient souvent inachevées sur son bureau pendant plusieurs jours à cause de la maladie.

Peut-être pouvons-nous laisser les derniers mots à Soeur Thea Bowman, cette franciscaine afro-américaine extraordinairement charismatique qui a laissé un héritage durable à l’Église catholique américaine par la valorisation de l’héritage spirituel de son peuple. Atteinte d’un cancer à l’âge de quarante-sept ans et immobilisée dans un fauteuil roulant, elle a continué, du mieux qu’elle a pu, à se rendre disponible pour des conférences et des interventions, reconnaissant que, dans sa déchéance, sa prière était devenue simple : “Seigneur, laisse-moi vivre jusqu’à ma mort. Peu importe la durée”. Puisse la venue de l’Esprit qui donne la vie continuer à nous transformer afin que, à la fois par notre force et par notre pauvreté, nous puissions continuer à donner vie et espoir aux autres, en particulier aux pauvres et aux oubliés.

¹ Lettre écrite par le secrétaire de Libermann sur ordre de celui-ci à Schwindenhammer, cf. Mgr A. Le Roy, Le T.R. Père Frédéric Le Vavasseur, p. 206, cité par Koren ; Essays on the Spiritan Charism…, p. 64
² Règle Provisoire, Chapitre X, Article VIII, Commentaire.
³ Sacred Fire, Image Books, NY 2014, p. 15

 

John Fogarty, supérieur général de la Congrégation du Saint Esprit