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“Oui notre foi chrétienne est de bout en bout pascale, car elle refuse absolument de laisser le dernier mot à la souffrance et à la mort. Elle est sensible à la vie qui resurgit.”

Richard Fagah

« Tout est accompli. » Ce furent les dernières paroles que Jésus prononça en mourant sur la croix. Les dernières paroles confiées par un mourant sont si souvent lourdes de sens. Spiritains, nous nous rappelons bien celles du Père Libermann : « Dieu, c’est tout ; l’homme n’est rien » …, entre autres. 

« Tout est accompli. » Dans le grec original du récit évangélique de la Passion, il s’agit d’un mot. Mais de quel mot investi de sens ! « Tetelestai. » « Tout est accompli. » Nous savons que cette formule s’employait couramment dans le monde du commerce et de la finance. Elle faisait partie du vocabulaire comptable. On a déterré en Terre Sainte tout un bureau de collecteur d’impôts, disons de notaire, datant de l’époque du Christ, avec des lots de quittances encore déchiffrables. Sur certains des lots figurent justement la formule « Tetelestai », qui signifie que ces factures-là sont réglées. Le compte est bon. On envoie la quittance.

« Tout est accompli. » Lorsque le Christ prononce cette formule comme sa dernière parole avant de mourir, il résume tout le sens de sa vie et de sa mission. L’homme est et reste un débiteur insolvable. La facture de notre condition d’homme nous est impossible de régler. C’est cette immense facture qui a été supprimée dans le drame ultime de la Passion et de la Croix. Le compte est bon. « Tout est accompli. » Bien plus, – et c’est là que Dieu nous attend –, un compte intarissable a été ouvert pour que l’humanité ne se trouve plus jamais en faillite. Mais en cas de faillite, – et nous faisons souvent faillite –, nous savons où et à qui nous adresser pour nous approvisionner en grâces et en miséricorde.

Si tout est accompli, que faut-il ajouter encore à ce récit qui nous émeut tant chaque fois que la Passion du Seigneur est relatée ? Que faut-il ajouter en guise de commentaire, sinon souligner comment ce que nous écoutons dans le récit de la Passion, ce dont nous faisons mémoire le Vendredi Saint, continue à se vivre et à se dérouler dans la vie des uns et des autres ? À vrai dire, nous ne saisissons vraiment ce que le Christ a accompli pour nous en ce jour que par l’expérience. Lorsque, dans notre propre chair comme dans notre for interne, nous nous rendons compte que nous ne sommes rien et que nous sommes petits, mais que malgré notre petitesse et notre néant nous avons de la valeur aux yeux de Dieu, alors nous sommes en mesure de comprendre la Passion du Christ et sa compassion pour l’homme. Dans nos vies, nous faisons alors nos propres expériences de la Passion.

Un jour, une connaissance que j’avais orientée à la Chapelle de l’Adoration m’a partagé une expérience émouvante qu’elle avait eue dans ce lieu de prière un soir avec l’un de nos confrères. Elle me disait, – elle ne savait pas le nom du prêtre –, que ce confrère s’est effondré en larmes au cours de l’eucharistie qu’il présidait. Il s’est effondré en leur parlant des malades qui allaient bientôt se retrouver en pèlerinage à Lourdes. Je me souviens avoir expliqué sur le champ à cette personne que oui, notre confrère, le père Patrick Hollande, vivait alors sa Passion ; il la vivait en silence. Les larmes qu’il avait versées en profusion ce soir-là venaient s’ajouter au sacrifice de l’autel. Ces larmes provenaient d’un vécu en amont, de ce qu’il vivait dans son corps et dans son âme et qui évoquait ce passage nécessaire par la Passion et par la Croix, pour aboutir à la résurrection. 

Oui notre foi chrétienne est de bout en bout pascale, car elle refuse absolument de laisser le dernier mot à la souffrance et à la mort. Elle est sensible à la vie qui resurgit. Voilà pourquoi l’on pourrait voir dans l’épreuve de la pandémie du Covid-19 ce Mystère pascal, la même « pascalité christique » que nous sommes appelés à vivre dans nos itinéraires de croyants. Durement éprouvés ces derniers temps par la mort impromptue de nos proches, des confrères, des parents et amis auxquels nous n’avons même pas pu dire au revoir, c’est au pied de la Croix, à la lumière de la Passion du Christ, que nous trouvons le sens profond de chacune de ces pâques.  

« Tout est accompli. » Et c’est pour que nous marchions toujours de l’avant, malgré les embûches du Mauvais et autres Judas, malgré la lourdeur de nos croix et la fatigue du chemin. Puissions-nous savoir compter chaque jour sur la source intarissable de grâce ouverte par la Passion et la mort du Christ, pour mieux saisir le sens de nos vies par-delà la mort.

Richard Fagah
Spiritain originaire du Nigéria